Interview de Bruno Perreau, professeur spécialiste des questions de genre.
(Ouvrage : "Qui a peur de la théorie queer ?")
Extraits de l’interview :
(Propos recueillis par Youen Tanguy)
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« …Le geste queer consiste à donner corps à ce travail critique, c’est-à-dire :
penser contre les normes, contre ce que l’on produit dans l’acte même de résistance aux normes.
Il n’y a donc pas d’être queer, mais plutôt une attitude critique qui résulte d’un rapport minoritaire aux normes. Les minoritaires parlent plusieurs langues, celle de la majorité –qu’on leur a inculquée– et la leur. Le queer cherche à faire vivre cette tension et, ce faisant, à faire émerger de nouvelles façons de penser, de nouvelles subjectivités, de nouvelles cultures, etc. ….»
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« La théorie queer s’est-elle développée en opposition à la lutte pour les droits LGBTI (mariage pour tous, filiation…) ? »
« … Je ne dirais pas ça. La question n’est pas d’être opposé aux institutions, mais de savoir ce que l’on fait du rapport que l’on entretient toujours avec les institutions.
…
C’est un piège tendu aux minorités que d’opposer subversion et assimilation.
Et ce piège est parfois reproduit par les mouvements minoritaires eux-mêmes, qui voient dans l’acquisition de droits une simple reproduction de la norme.
Le positionnement anti-juridique, en tant que le droit serait un projet néo-libéral, me semble limité dans le sens où on n’est jamais totalement en dehors du droit, y compris quand on est queer. On s’arrête au feu rouge, on va au supermarché. Il n’y a pas à avoir peur de ce que nos vies ont d’ordinaire…. »
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« …À l’extrême-droite, c’est la peur de la dévirilisation de la société qui est redoutée.
En d’autres termes, nous sommes tous animés par des fantasmes et des peurs.
Le queer fait de ce trouble l’occasion d’un déplacement des normes.
D’autres cherchent à éliminer, plus ou moins violemment, ce qui les trouble en sacralisant l’appartenance à la nation, le corps, l’enfance, etc.
Nous avons pourtant tout à gagner à réfléchir à la façon dont nous nous craignons nous-mêmes, c’est-à-dire, pour citer Sartre, dont nous craignons ce que "nous faisons nous-mêmes de ce que l’on fait de nous". »